
Je pense donc je me juge : Autopsie de la critique intérieure
Entrée en matière vécue
Il est 14h32. La réunion bat son plein. Vous venez de prendre la parole pour expliquer un point technique que vous maîtrisez parfaitement. Sauf que là, au milieu de votre phrase, le mot vous échappe. Pas un mot compliqué. Un mot banal. "Procédure" devient "procédé". Ou "analyse" se transforme en "analogie". Peu importe. Personne ne relève. La réunion continue.
Mais dans votre tête, c'est déjà parti : "Bravo, t'as l'air malin. Ils doivent tous penser que tu ne sais pas de quoi tu parles. Comment tu peux te planter sur un truc aussi simple ? T'es vraiment nul."
Ou alors c'est le matin. Vous vous regardez dans le miroir. Pas longtemps. Juste le temps de voir ce qui ne va pas. Les cernes. Le ventre. Les cheveux. L'air fatigué. L'air vieux. L'air de rien. "Regarde-toi. Comment tu peux sortir comme ça ? Tu fais pitié."
Ou encore, c'est ce message WhatsApp auquel vous n'avez pas répondu depuis trois jours. Un message anodin d'un ami. Mais maintenant c'est trop tard pour répondre sans s'excuser. Et vous n'avez pas envie de vous excuser. Alors vous ne répondez pas. Et la voix revient : "Tu es vraiment un ami de merde. Normal que les gens finissent par te lâcher."
Cette voix, vous la connaissez. Elle vous accompagne depuis si longtemps que vous ne savez plus quand elle est arrivée. Elle commente, juge, condamne. Elle a toujours un mot pour dire ce qui ne va pas. Elle est plus rapide que votre ombre, plus précise qu'un sniper. Elle vise juste, là où ça fait mal.
Et le pire ? C'est que vous y croyez.
Spoiler alert : cette voix n'est ni votre destin, ni votre identité profonde, ni même particulièrement utile. C'est juste un vieux disque rayé qui tourne en boucle. Et on peut apprendre à baisser le volume.
Ce qui parle en nous (et pourquoi c'est moins grave qu'on ne le pense)
Appelons-la critique intérieure, voix jugeante, monologue intérieur négatif, radio Jugement FM. Les termes importent peu. Ce qui compte, c'est ce qu'elle fait : elle transforme chaque action en procès, chaque erreur en catastrophe, chaque imperfection en tare fondamentale.
Cette voix n'est pas folle. Elle ne délire pas. Elle s'appuie sur des faits : vous avez effectivement bafouillé, vous êtes effectivement fatigué, vous avez effectivement oublié de répondre. Mais elle fait plus que constater. Elle interprète, amplifie, généralise. Un mot de travers devient une incompétence généralisée. Une apparence fatiguée devient une déchéance totale. Un oubli devient une faillite morale.
C'est ce que les psychologues appellent la surgénéralisation : prendre un événement isolé et en faire une règle universelle. C'est comme si, après avoir raté une crêpe, vous décidiez que vous êtes définitivement inapte à toute forme de cuisine. Absurde, non ? Pourtant, c'est exactement ce que fait notre critique intérieure, tous les jours, sans qu'on ne relève l'absurdité du procédé.
Le cerveau, ce drama queen
D'un point de vue neurobiologique, cette tendance à l'auto-critique a des racines profondes. Notre cerveau a évolué avec ce qu'on appelle un biais de négativité : il accorde naturellement plus d'importance aux expériences négatives qu'aux positives. C'est probablement l'héritage de l'époque où ne pas remarquer le danger pouvait signifier se faire dévorer par un prédateur.
Sauf qu'aujourd'hui, le "danger" c'est d'avoir dit "procédé" au lieu de "procédure" en réunion. Notre cerveau reptilien n'a pas vraiment fait la mise à jour. Il continue à traiter chaque micro-erreur sociale comme une menace vitale. D'où cette alarme intérieure disproportionnée.
Les recherches en neurosciences montrent que les zones cérébrales activées lors de l'auto-critique sont les mêmes que celles qui s'activent face à une menace physique. Le cortex cingulaire antérieur et l'amygdale s'emballent comme si un tigre à dents de sabre venait d'entrer dans la salle de réunion. Rassurant, non ?
Les différents accents de la critique
La critique intérieure n'a pas qu'une seule voix. Elle a tout un répertoire :
- Le Perfectionniste : "C'est pas mal, mais tu aurais pu faire mieux. D'ailleurs, regarde Sophie, elle, elle a fait mieux."
- Le Catastrophiste : "Tu as fait une erreur ? C'est fini. Ta carrière est foutue. Ta vie est foutue. Tout est foutu."
- Le Devin : "Ils pensent tous que tu es incompétent. Je le vois bien à leur regard." (Spoiler : non, ils ne voient rien du tout)
- Le Comptable : "Ça fait la 47ème fois cette année que tu fais ce genre d'erreur. J'ai la liste complète si tu veux."
- Le Nostradamus : "Tu vas encore te planter. Comme d'habitude. C'est écrit."
Reconnaître ces différents "personnages" peut aider à prendre du recul. C'est comme identifier les acteurs d'une mauvaise pièce de théâtre qui se joue en boucle dans notre tête. Une fois qu'on a compris que c'est du théâtre, on peut décider de ne plus acheter de billets.
D'où vient cette voix ? (Indice : ce n'est la faute de personne en particulier)
La tentation est grande de chercher LE coupable. Le parent trop exigeant. L'école trop dure. La société trop compétitive. Mais la réalité est plus complexe et, paradoxalement, plus rassurante. Cette voix est un composé, un mélange de multiples influences qui se sont sédimentées au fil du temps. Comme une lasagne psychologique, avec plein de couches différentes.
Les ingrédients du millefeuille critique
L'apprentissage social joue un rôle majeur. Dès l'enfance, nous apprenons par observation et imitation. Si les adultes autour de nous pratiquaient l'auto-critique ("Je suis vraiment bête", "Je n'y arriverai jamais"), nous avons intégré ce modèle comme normal. C'est ce qu'Albert Bandura appelait l'apprentissage vicariant : on apprend aussi des comportements qu'on observe, pas seulement de ceux qu'on pratique. Françoise Dolto rappelait que l'éducation c'est avant tout l'exemple des parents, des proches, avec qui on passe beaucoup de temps. Avec l'actualisation, la mise à jour si vous préférez, ces proches n'ont plus grand chose à voir avec une distance physique, les interactions sur les réseaux sociaux et la télé-réalité sont devenues aussi (voire plus) propice à l'identification, à l'intériorisation du comportement de l'autre. Bref à faire siennes les habitudes d'autrui.
Les messages implicites comptent autant que les explicites. Un parent qui ne dit jamais "bravo" mais toujours "tu peux mieux faire" transmet un message : rien n'est jamais assez bien. Un enseignant qui ne souligne que les erreurs dans les copies programme une attention sélective au négatif. Ces messages s'accumulent, couche après couche, jusqu'à former cette voix intérieure.
Mais attention : il ne s'agit pas de blâmer ces figures du passé. Elles faisaient souvent de leur mieux avec leurs propres bagages, leurs propres voix critiques. C'est une transmission intergénérationnelle, pas une malveillance délibérée. Comprendre, ce n'est pas accuser.
Le cerveau adolescent a aussi sa part de responsabilité. Entre 12 et 25 ans, le cerveau traverse une période de remodelage intense. Le cortex préfrontal (siège du jugement nuancé) est en travaux, tandis que l'amygdale (centre des émotions) carbure à plein régime. Résultat : tout est vécu intensément, définitivement. "Tout le monde me regarde" devient une certitude. "Je suis nul" devient une identité. Ces schémas, formés dans la tempête hormonale adolescente, peuvent persister à l'âge adulte si on ne les remet pas en question.
La culture du "jamais assez" dans laquelle nous baignons ajoute sa couche. Les réseaux sociaux, avec leur défilé permanent de vies apparemment parfaites, créent un standard impossible. LinkedIn nous rappelle que tout le monde sauf nous vient d'être promu CEO. Instagram suggère que tout le monde sauf nous a des abdos et mange des açaï bowls au petit-déjeuner (vous ne connaissez pas ? Allez jeter un oeil sur le web ça vaut le détour gustatif). TikTok... bon, TikTok fait ce que TikTok fait.
Cette exposition constante à la réussite des autres (souvent mise en scène) nourrit la machine à comparaison. Et dans ce jeu truqué, on perd forcément.
Les fonctions cachées de l'auto-critique
Si cette voix persiste, c'est qu'elle remplit des fonctions. Des fonctions tordues, contre-productives, mais des fonctions quand même :
La protection par anticipation : "Si je me critique en premier, les autres ne pourront pas me blesser." C'est la logique du "je préfère me tirer une balle dans le pied moi-même plutôt que d'attendre que quelqu'un d'autre le fasse." Pas très malin, mais compréhensible.
L'évitement de la déception : "Si j'attends le pire de moi-même, je ne serai jamais déçu." C'est le pessimisme défensif : viser bas pour ne jamais tomber de haut. Sauf qu'à force de viser bas, on finit par vivre bas.
Le maintien du connu : Aussi désagréable soit-elle, cette voix est familière. Elle fait partie du paysage mental depuis si longtemps qu'on ne sait plus qui on serait sans elle. Le changement fait peur, même quand c'est pour aller mieux. C'est une partie de ce que Freud appelait la "compulsion de répétition" : on répète ce qu'on connaît, même si ça fait mal.
L'illusion de progression : "Si je suis dur avec moi-même, je vais m'améliorer." Sauf que les études montrent le contraire : l'auto-compassion est plus efficace que l'auto-critique pour progresser. Mais bon, les vieilles croyances ont la vie dure. Pourtant même Lacan avait insisté sur le fait que complaire aux injonction du Surmoi ne faisait que renforcer le Surmoi et le rendre davantage tyrannique. Vous noterez qu'en deux paragraphes je viens de citer deux figures de la psychanalyse, je vous le dis et répète : je ne suis pas anti-psychanalyse quand les remarques sont exactes (c'est à dire vérifiables) et les propos non volontairement équivoques ou obscurs (Lacan oui mais son style est définitivement à abandonner, trouvez-vous en un, le vôtre sera très bien, puis ça fera beaucoup d'articles à réécrire sur Cairn... c'est bien d'être occupé sans répéter compulsivement... oui je sais on l'a vu venir de loin celle-là) !
Comment apprivoiser le critique intérieur : Guide pratique détaillé
Commençons par ce qu'on ne peut pas faire : éteindre cette voix comme on éteint une radio. Elle fait partie de nous, elle s'est construite sur des années, elle a ses habitudes. Vouloir la faire taire d'un coup, c'est comme vouloir arrêter de respirer : ça ne marche pas et ça crée plus de problèmes que ça n'en résout.
On ne peut pas non plus la remplacer par son contraire. Se répéter "je suis merveilleux" devant le miroir quand on n'y croit pas, c'est ajouter le ridicule à la souffrance. Les affirmations positives forcées créent souvent un effet boomerang : le cerveau n'est pas dupe et renforce la critique en réaction. C'est pour cela que la méthode d'Émile Coué n'a pas pu se généraliser à tous et à toutes mais a clairement très bien fonctionné pour certains. D'où son retour en force depuis quelques années avec toutes les formes de coaching.
Alors quoi ? Voici des approches concrètes, avec des exercices détaillés pas à pas :
1. L'observation méthodique : Devenir le reporter de sa propre vie intérieure
Exercice : Le journal du critique intérieur
Durée : 1 semaine minimum, 5 minutes par jour
Matériel : Un carnet ou une application de notes
Étapes :
- Créez un tableau avec 5 colonnes :
- Heure/Situation
- Déclencheur (qu'est-ce qui s'est passé ?)
- Phrase exacte du critique
- Intensité (1 à 10)
- Sensations corporelles
- Chaque fois que la voix critique se manifeste, notez :
- L'heure et le contexte précis
- Ce qui a déclenché la critique (un regard, une erreur, une comparaison...)
- Les mots exacts utilisés (important : notez la formulation précise)
- L'intensité émotionnelle sur 10
- Les sensations physiques (gorge serrée, ventre noué, épaules tendues...)
- En fin de journée (5 minutes) :
- Relisez vos notes
- Cherchez les patterns : mêmes mots ? mêmes situations ? mêmes heures ?
- Notez une observation neutre, sans jugement
Exemple concret : 14h32 | Réunion équipe | J'ai dit "procédé" au lieu de "procédure" | "Tu es vraiment nul, ils doivent tous penser que tu es incompétent" | Intensité : 7/10 | Chaleur au visage, tension dans les épaules
Bénéfice : Après une semaine, vous aurez une cartographie précise de votre critique intérieure. Vous découvrirez ses heures de pointe, ses phrases favorites, ses déclencheurs récurrents.
2. La restructuration cognitive : Questionner les "évidences"
Exercice : Le tribunal de la pensée
Durée : 15-20 minutes quand une pensée critique forte apparaît
Étapes :
- Identifiez la pensée critique Écrivez-la noir sur blanc : "Je suis incompétent parce que j'ai fait une erreur en réunion"
- Rassemblez les preuves Créez deux colonnes :
- Preuves POUR cette pensée
- Preuves CONTRE cette pensée
- Remplissez objectivement :
Pour :
- J'ai effectivement fait une erreur
- C'était devant tout le monde
Contre :
- J'ai mené 15 réunions sans erreur ce mois-ci
- Personne n'a relevé ou semblé perturbé
- J'ai été félicité pour ma présentation la semaine dernière
- Mes collègues font aussi des erreurs régulièrement
- Reformulez de manière équilibrée : "J'ai fait une erreur mineure en réunion, comme cela arrive à tout le monde. Cela ne remet pas en cause mes compétences générales."
- Testez la nouvelle pensée :
- Est-elle plus réaliste ?
- Comment vous sentez-vous en la lisant ?
- Quelle serait votre note d'intensité émotionnelle maintenant ?
Variante pour les perfectionnistes : Ajoutez une colonne "Et si c'était vrai ?" - Explorez les conséquences réelles si la critique était fondée. Souvent, elles sont bien moins catastrophiques qu'imaginé.
3. La défusion cognitive : Se détacher des pensées
Exercice A : Les pensées sur des feuilles
Durée : 10 minutes
Matériel : Post-it ou petits papiers
Étapes :
- Écrivez chaque pensée critique sur un post-it séparé
- Collez-les sur un mur face à vous
- Observez-les physiquement : ce ne sont que des mots sur du papier
- Déplacez-les :
- Mettez les plus virulentes en haut
- Les plus fréquentes à gauche
- Créez des catégories
- Reculez progressivement :
- À 50 cm, lisez-les
- À 1 mètre, observez l'ensemble
- À 3 mètres, que voyez-vous ? Des papiers colorés, rien de plus
- Décrochez-en un et observez : le monde ne s'écroule pas
Exercice B : La voix ridicule
Durée : 5 minutes
Étapes :
- Identifiez une phrase critique récurrente
- Répétez-la avec différentes voix :
- Voix de Donald Duck
- Voix de Dark Vador au ralenti
- Chantée sur l'air de "Joyeux anniversaire"
- Avec un accent exagéré
- Observez : la phrase perd de son pouvoir quand elle devient ridicule
4. L'auto-compassion structurée
Exercice : La pause auto-compassion
Durée : 5-10 minutes
Quand : Dès qu'une situation déclenche la critique intérieure
Les 4 étapes STOP (acronyme anglais) :
- S - Stop (30 secondes)
- Arrêtez ce que vous faites
- Prenez 3 respirations profondes
- Dites (mentalement ou à voix haute) : "C'est un moment de souffrance"
- T - Touch (1 minute)
- Posez une main sur votre cœur
- Ou croisez vos bras en vous donnant une accolade
- Sentez la chaleur et la pression
- Respirez dans cette sensation
- O - Observe (2 minutes)
- "Qu'est-ce qui se passe en moi maintenant ?"
- "Quelle est l'émotion présente ?" (nommez-la)
- "Où est-ce que je la sens dans mon corps ?"
- "De quoi ai-je besoin maintenant ?"
- P - Proceed with kindness (2 minutes)
- Demandez-vous : "Qu'est-ce qu'un ami bienveillant me dirait ?"
- Formulez une phrase de soutien : "C'est normal de faire des erreurs" ou "Tu fais de ton mieux"
- Identifiez une action concrète et bienveillante (boire un thé, appeler un ami, faire une pause)
Version courte pour les urgences (1 minute) :
- Main sur le cœur
- "C'est difficile"
- "Je ne suis pas seul(e) dans cette expérience"
- "Que puis-je m'offrir maintenant ?"
Bon je le concède celle-là fait Newage mais il en faut pour tous les goûts. Si la main sur le coeur c'est trop, tourner les paumes de mains vers le ciel et regarder le creux de vos mains voire appuyer l'index d'une main dans le creux de l'autre ne fait pas de mal en remplacement de la main sur le coeur. Vous avez compris je pense que peu importe l'exercice dans son détail, ce qui compte c'est de créer une zone de contact corporel qui diffuse de la chaleur. Poser la main sur son avant-bras fonctionne également mais c'est moins Newage dans l'esprit.
5. La reprogrammation active du dialogue intérieur
Exercice : Le conseil d'administration mental
Durée : 20 minutes pour la mise en place, puis utilisation au besoin
Étape 1 : Créez votre conseil (10 minutes)
Identifiez 4 voix alternatives au critique :
- Le Mentor Sage : Quelle figure de sagesse admirez-vous ? (réelle ou fictive)
- L'Ami Fidèle : Qui vous soutient inconditionnellement ?
- L'Enfant Curieux : Votre part créative et joueuse
- Le Coach Pragmatique : Orienté solutions sans jugement
Pour chaque voix, notez :
- Son nom
- Sa phrase type
- Son ton
- Ce qu'elle apporte
Étape 2 : Donnez-leur la parole (10 minutes)
Face à une situation où le critique s'active :
- Écrivez la critique : "Tu es nul, tu as encore raté"
- Demandez l'avis du conseil :
- Le Mentor : "Les erreurs sont les marches de l'apprentissage"
- L'Ami : "Je suis là, on va trouver une solution ensemble"
- L'Enfant : "C'est pas si grave, on peut réessayer ?"
- Le Coach : "Ok, qu'est-ce qu'on peut faire différemment la prochaine fois ?"
- Votez : Quelle voix est la plus utile maintenant ?
Exercice quotidien : Le soir, écrivez un court dialogue entre ces voix sur un événement de la journée.
6. Les ancrages corporels
Exercice A : La respiration 4-7-8 anti-critique
Quand : Dès que la voix critique s'emballe
Étapes :
- Position : Assis, pieds au sol, dos droit mais pas rigide
- Expirez complètement
- Inspirez par le nez en comptant jusqu'à 4
- Retenez votre souffle en comptant jusqu'à 7
- Expirez par la bouche en comptant jusqu'à 8 (son "whoosh")
- Répétez 4 cycles complets
Astuce : À chaque expiration, imaginez que vous soufflez la voix critique comme de la poussière
Exercice B : Le scan corporel de libération
Durée : 15 minutes
Position : Allongé ou assis confortablement
Étapes :
- Commencez par les pieds
- Tendez les orteils 5 secondes
- Relâchez en disant mentalement "Je relâche le jugement"
- Remontez progressivement
- Mollets : tension 5 sec, relâchement + "Je relâche la critique"
- Cuisses : tension 5 sec, relâchement + "Je relâche la comparaison"
- Ventre : rentrez 5 sec, relâchez + "Je relâche la peur"
- Épaules : montez aux oreilles 5 sec, relâchez + "Je relâche la tension"
- Visage : grimace 5 sec, relâchez + "Je relâche le contrôle"
- Finissez par 3 respirations profondes
- À chaque expiration : "Je suis suffisant(e) comme je suis"
Oui méthode Coué augmentée, bravo pour votre observation.
7. La désensibilisation progressive
Exercice : L'exposition graduée à l'imperfection
Durée : 1 exercice par semaine pendant 8 semaines
Principe : S'exposer volontairement à de petites "imperfections" pour désensibiliser le système d'alarme
Semaine 1-2 : Micro-imperfections
- Envoyez un email avec une faute de frappe volontaire
- Portez deux chaussettes légèrement différentes
- Arrivez 2 minutes en retard à un rendez-vous non crucial
Semaine 3-4 : Imperfections sociales
- Demandez votre chemin alors que vous le connaissez
- Dites "je ne sais pas" quand on vous pose une question
- Admettez une erreur mineure publiquement
Semaine 5-6 : Imperfections visibles
- Sortez avec une coiffure imparfaite
- Portez un vêtement avec un petit défaut
- Postez une photo de vous non retouchée
Semaine 7-8 : Imperfections assumées
- Partagez un échec ou une difficulté avec un proche
- Demandez de l'aide pour quelque chose que vous "devriez" savoir
- Riez d'une de vos erreurs en public
À chaque exercice :
- Notez l'anxiété anticipée (1-10)
- Faites l'exercice
- Notez l'anxiété réelle (1-10)
- Observez : le monde s'est-il écroulé ?
- Célébrez votre courage
8. L'intégration quotidienne
Routine matinale anti-critique (10 minutes)
- Au réveil (2 min) : Avant de vous lever, posez-vous 3 questions :
- Comment je me sens ?
- De quoi ai-je besoin aujourd'hui ?
- Quelle intention bienveillante je pose pour la journée ?
- Devant le miroir (3 min) :
- Regardez-vous dans les yeux
- Souriez (même artificiellement, ça active les bons neurotransmetteurs)
- Dites une chose neutre ou positive : "Bonjour [votre prénom], on y va"
- Pendant le café/thé (5 min) :
- Écrivez 3 choses que vous appréciez (n'importe quoi : le café chaud, le silence, vos chaussettes)
- 1 chose que vous avez bien faite hier (même minuscule)
- 1 intention pour aujourd'hui (sans pression de résultat)
Check-in du midi (2 minutes)
- STOP : pause
- Comment va le critique intérieur ?
- Un geste bienveillant envers vous-même
Rituel du soir (5 minutes)
- 3 moments ok de la journée (pas forcément extraordinaires, juste ok)
- 1 moment difficile + ce que vous avez appris
- 1 geste de clôture (étirement, respiration, auto-câlin)
9. Le suivi des progrès (sans pression)
Le baromètre mensuel
Une fois par mois, faites le point (sans jugement) :
Questions d'évaluation :
- Sur une échelle de 1 à 10, quelle place prend la voix critique ?
- Il y a un mois : ___/10
- Aujourd'hui : ___/10
- Quels moments sont devenus plus faciles ?
- Se regarder dans le miroir ?
- Faire une erreur en public ?
- Recevoir un compliment ?
- Demander de l'aide ?
- Quelles phrases critiques ont perdu de leur pouvoir ?
- Quelles nouvelles voix avez-vous développées ?
- Qu'est-ce qui reste difficile ? (C'est normal, notez-le sans jugement)
Le carnet de victoires :
- Gardez trace des moments où vous avez réussi à :
- Ne pas croire la voix critique
- Répondre avec bienveillance
- Transformer une critique en observation neutre
- Rire d'une imperfection
Même les plus petites victoires comptent. Surtout les plus petites.
Points importants à retenir
Ce n'est pas une course :
- Certains jours seront plus difficiles que d'autres
- Les rechutes font partie du processus
- La progression n'est jamais linéaire
- Chaque petit pas compte.
Les pièges à éviter :
- Se critiquer de ne pas progresser assez vite (l'ironie...)
- Vouloir être parfait dans sa pratique de l'auto-compassion
- Comparer ses progrès à ceux des autres
- Abandonner après une mauvaise journée.
Les signaux de progrès (souvent subtils) :
- Vous remarquez la voix critique plus rapidement
- Vous n'y croyez plus automatiquement
- Vous pouvez parfois en rire
- Vous êtes plus doux avec les autres (effet miroir)
- Vous osez des choses que vous évitiez avant.
L'objectif réaliste : Non pas faire taire définitivement la voix critique (impossible), mais :
- La reconnaître pour ce qu'elle est : une habitude, pas une vérité
- Diminuer son impact sur vos actions et décisions
- Développer d'autres voix pour équilibrer
- Vivre avec elle sans vivre sous sa dictature.
Créer son propre programme
Tous ces exercices ne conviendront pas à tout le monde. L'idée est de :
- Tester : Essayez différents exercices pendant au moins une semaine
- Sélectionner : Gardez ceux qui vous parlent, laissez les autres
- Adapter : Modifiez-les selon vos besoins
- Persévérer : La régularité prime sur l'intensité.
Suggestion de programme progressif :
- Semaines 1-2 : Journal du critique + respiration 4-7-8
- Semaines 3-4 : Ajoutez le tribunal de la pensée
- Semaines 5-6 : Intégrez la pause auto-compassion
- Semaines 7-8 : Expérimentez la désensibilisation
- Après 2 mois : Gardez 3-4 pratiques qui fonctionnent pour vous.
L'important n'est pas de tout faire parfaitement, mais de commencer quelque part et de maintenir une pratique, même imparfaite. Parce que oui, même votre pratique de l'auto-compassion a le droit d'être imparfaite. C'est même recommandé.
Les changements concrets au quotidien
Au-delà des techniques ponctuelles, certains ajustements du quotidien peuvent progressivement modifier le terreau sur lequel pousse la critique intérieure.
Hygiène mentale 2.0
- Limitez l'exposition aux comparaisons : réduisez le temps sur les réseaux sociaux, désabonnez-vous des comptes qui déclenchent la comparaison
- Cultivez la gratitude : 3 choses positives notées chaque soir, ça a l'air cucul mais ça recâble progressivement l'attention
- Entourez-vous de voix bienveillantes : les gens qui vous font du bien, gardez-les près de vous ; ceux qui nourrissent votre critique intérieure, mettez de la distance.
Vous remarquerez que j'ai évité le terme "toxique." C'est la tarte à la crème des coupables : "Répérez et évitez les personnes toxiques !" Quelle injonction ! Et la conclusion : vous vous couperez progressivement de tout le monde et vous vous isolerez. C'est cela la vraie toxicité de tels conseils et c'est avec cela que des gourous peuvent vous faire croire qu'avec eux vous êtes bien, vous vous sentez mieux et que ça vaut le prix... heu pardon le coût... ha bah non désolé le coup ! Je sais je suis taquin. Oui il existe des personnes qui par leurs comportements, verbaux et non verbaux, vous attireront vers le bas. Le repérer et l'étudier, l'analyser, est la première étape du discernement. La seconde est de ne pas tomber dans l'automatisme d'éviction aveugle.
Le rapport à l'erreur
- Normalisez l'imperfection : partagez vos erreurs avec humour, montrez que c'est ok de ne pas être parfait
- Célébrez les tentatives : valorisez l'effort autant que le résultat
- Apprenez de vos "échecs" : chaque erreur est une donnée, pas une condamnation.
La communication avec soi
- Parlez-vous comme à un ami : avant de vous juger, demandez-vous "est-ce que je dirais ça à quelqu'un que j'aime ?"
- Utilisez la 3ème personne : des études montrent que se parler à la 3ème personne ("Marie est fatiguée" plutôt que "je suis nulle") crée une distance salutaire (bon évitez quand même de généraliser cette pratique, ça peut aussi pousser à une dépersonnalisation et concrètement ce n'est pas le bon chemin à suivre)
- Écrivez : tenir un journal permet d'externaliser les pensées et de les voir pour ce qu'elles sont : des pensées, pas des vérités.
Vous aurez remarqué que toutes ces recommandations prennent du temps, et c'est cela le "truc" : prendre du temps pour soi. Les pensées négatives se nourrissent du peu de considération qu'on se donne, pratiquer ces "recettes" c'est d'abord s'accorder du temps. Vous aurez à trouver ce qui fonctionnera le mieux pour vous dans les idées que je vous donne ici, elles ne sont ni complètes ni certaines de vous correspondre. N'hésitez pas à vous documenter et à explorer-essayer par vous-même, l'autonomie c'est ce qui est préférable.
Quand chercher de l'aide
Parfois, malgré tous les efforts, la voix critique reste envahissante. C'est ok. Ça ne veut pas dire que vous êtes "foutu" ou "trop atteint". Ça veut dire que vous pourriez bénéficier d'un coup de main professionnel.
Consultez si :
- La critique intérieure vous empêche de fonctionner normalement
- Elle s'accompagne de symptômes dépressifs ou anxieux importants
- Vous avez des idées noires
- Vos relations en pâtissent significativement
- Vous n'arrivez pas à sortir seul de ces schémas.
Un psychologue formé aux TCC (thérapies cognitivo-comportementales), à l'ACT (thérapie d'acceptation et d'engagement) ou à la thérapie centrée sur la compassion peut vous aider à démêler ces nœuds. Ce n'est pas un aveu de faiblesse, c'est un acte de courage.
Pour conclure (sans grandes phrases)
L'auto-jugement n'est pas une maladie honteuse. C'est une habitude mentale, largement partagée, qui s'est construite pour de "bonnes" raisons mais qui a dépassé sa date de péremption. Comme ces vieux pulls qu'on garde par habitude mais qui grattent et ne nous vont plus.
Cette voix qui vous juge, ce n'est pas vous. C'est une vieille radio qui joue en boucle les tubes des années "tu n'es pas assez". Vous pouvez apprendre à baisser le volume, changer de station, ou simplement laisser jouer en fond sans écouter religieusement.
Le chemin n'est pas de passer de "je suis nul" à "je suis génial". C'est d'arriver à "je suis humain, avec mes forces et mes faiblesses, mes réussites et mes ratés, et c'est ok comme ça". C'est moins spectaculaire mais infiniment plus vivable.
Rappelez-vous : vous n'êtes pas obligé de croire tout ce que vous pensez. Les pensées sont comme les pubs à la télé : elles passent, elles font du bruit, elles essaient de vous vendre quelque chose. Mais vous n'êtes pas obligé d'acheter.
Et si la voix critique vous dit que cet article ne servira à rien, que vous n'y arriverez jamais... Eh bien, dites-lui qu'on la connaît, sa chanson. Et continuez votre chemin.
Parce que vivre, ce n'est pas attendre d'avoir fait taire toutes ses voix intérieures pour commencer. C'est apprendre à vivre avec le brouhaha, en choisissant quelles voix méritent notre attention.
Et ça, contrairement à ce que dit la voix critique, vous en êtes parfaitement capable.
Références pour approfondir (on m'a dit qu'une bibliographie indicative en fin d'article ça claque toujours bien)
Lectures accessibles et pratiques
Christophe André (2006). Imparfaits, libres et heureux : Pratiques de l'estime de soi. Paris : Odile Jacob.
- Le classique francophone sur l'estime de soi, nuancé et bienveillant.
Kristin Neff (2013). S'aimer : Comment se réconcilier avec soi-même. Paris : Belfond.
- LA référence sur l'auto-compassion, avec exercices pratiques.
Russ Harris (2017). Le piège du bonheur : Créez la vie que vous voulez. Montréal : Éditions de l'Homme.
- Introduction accessible à l'ACT et à la défusion cognitive.
Matthieu Ricard (2013). Plaidoyer pour l'altruisme. Paris : Nil.
- Pour élargir la perspective sur la bienveillance (envers soi et les autres).
Pour aller plus loin
Paul Gilbert (2010). The Compassionate Mind. Londres : Constable.
- Approche évolutionniste de la compassion et de l'auto-critique.
Christopher Germer (2019). La voie de l'autocompassion. Paris : De Boeck Supérieur.
- Manuel pratique de méditation et d'auto-compassion.
Steven Hayes (2019). A Liberated Mind. New York : Avery.
- Du fondateur de l'ACT, sur la flexibilité psychologique.
Mark Williams & Danny Penman (2013). Méditer pour ne plus déprimer. Paris : Odile Jacob.
- Programme MBCT adapté à l'auto-critique et la rumination.
Articles scientifiques (pour les courageux)
MacBeth, A. & Gumley, A. (2012). Exploring compassion: A meta-analysis of the association between self-compassion and psychopathology. Clinical Psychology Review, 32(6), 545-552.
Neff, K. D. & Germer, C. K. (2013). A pilot study and randomized controlled trial of the mindful self-compassion program. Journal of Clinical Psychology, 69(1), 28-44.
Gilbert, P. & Procter, S. (2006). Compassionate mind training for people with high shame and self-criticism. Clinical Psychology & Psychotherapy, 13(6), 353-379.
Applications mobiles (à utiliser avec modération)
- Petit BamBou : Méditations en français, certaines sur l'auto-compassion
- Headspace : Programme spécifique sur l'estime de soi
- Insight Timer : Méditations gratuites sur la bienveillance
Note : Ces ressources sont des suggestions, pas des prescriptions. Prenez ce qui vous parle, laissez le reste. Et rappelez-vous : lire sur l'auto-compassion en se jugeant de ne pas la pratiquer parfaitement, c'est un peu contre-productif. Allez-y mollo.