L'angle mort de la psychologie

Étrange époque. Les ingénieurs fabriquent des cerveaux artificiels, les entreprises embauchent des algorithmes, les ados confient leurs secrets à des chatbots, et nous, psychologues ? Nous citons toujours Piaget, Freud, Lacan, Watson, Bateson,... comme si de rien n'était.

Il y a quelque chose de gênant dans ce décalage. Une forme de déni poli, comme si l'intelligence artificielle était l'affaire des autres – ingénieurs, data scientists, futurologues anxieux. Sauf qu'elle est déjà là, dans nos vies, nos têtes, et bientôt nos cabinets. Et nous regardons ailleurs.

Pourquoi c'est notre affaire

L'IA n'est pas qu'une prouesse technique. C'est d'abord une question profondément humaine. Elle touche à ce qui nous définit : penser, ressentir, décider, créer, aimer. Chaque algorithme qui prédit nos désirs avant nous, chaque assistant qui organise notre journée, chaque chatbot qui nous écoute sans juger – tout cela interroge notre fonctionnement mental.

L'IA n'est plus un simple outil. Elle devient un partenaire cognitif, un miroir déformant, une prothèse psychique. Elle ne se contente pas de nous assister : elle nous transforme. Et ça, c'est précisément notre domaine.

L'invasion silencieuse

Aucun champ de la psychologie n'y échappe :

Psychologie cognitive : Notre mémoire s'externalise dans le cloud, notre attention se fragmente entre les notifications, nos décisions s'appuient sur des prédictions algorithmiques. Le cerveau humain co-évolue avec ses extensions numériques.

Psychologie sociale : Les bulles de filtres redessinent nos relations, les likes redéfinissent la validation sociale, les réseaux amplifient les biais de groupe. L'influence n'a plus le même visage.

Psychologie clinique : Des patients préfèrent se confier à Replika plutôt qu'à un humain. Des thérapeutes proposent des "psybots" entre les séances. La neutralité parfaite de la machine rassure autant qu'elle interroge.

Psychologie du travail : L'IA recrute, évalue, coache. Elle promet l'objectivité mais cache ses biais. Elle optimise la performance mais déshumanise parfois le lien.

Psychologie du développement : Les enfants grandissent avec Alexa comme compagnon. Les tablettes proposent des parcours "personnalisés" dont on ignore les effets à long terme.

Même la frontière homme-animal-machine vacille. Si une IA compose, peint, joue mieux que nous aux échecs, qu'est-ce qui nous reste en propre ?

Le cabinet n'est plus un sanctuaire

L'IA s'invite aussi dans nos consultations. Par les patients d'abord, qui arrivent avec leurs applis de méditation, leurs diagnostics Google, leurs scores de bien-être. Par les outils ensuite : analyse vocale des signes dépressifs, transcription automatique, suggestions thérapeutiques générées par IA.

Certains collègues vont plus loin. Ils intègrent volontairement des chatbots thérapeutiques dans leur pratique. Argument massue : rendre la psychothérapie accessible financièrement, maintenir le lien entre les séances. Noble intention. Mais que devient l'alliance thérapeutique quand on peut parler à une appli 24h/24 ? Que vaut une heure de consultation humaine face à la disponibilité infinie d'un bot empathique ?

La question n'est plus de savoir si nous serons remplacés. Nous le sommes déjà, partiellement, sans l'avoir vraiment décidé.

Pourquoi cette série maintenant

Voilà pourquoi Psychaventure lance "L'IA et Nous". Non pas pour céder à la mode, mais par nécessité. Si nous ne pensons pas ces mutations, d'autres le feront à notre place – avec moins de nuance, moins d'éthique, et surtout moins d'humour.

Il nous faut un espace pour interroger ce que l'IA fait à nos psychés. Pas pour la diaboliser ni l'encenser. Juste pour comprendre. Pour réapprendre à penser lentement dans un monde qui automatise jusqu'à nos réflexes mentaux.

Notre approche : ni panique ni béatitude

Le discours sur l'IA oscille entre deux caricatures : l'apocalypse robotique d'un côté, le paradis technologique de l'autre. Nous refusons ce choix binaire.

L'IA n'est ni Satan ni le Messie. C'est un fait social, culturel, psychologique. Un phénomène à observer, analyser, critiquer. Sans complaisance mais sans paranoïa.

Nous parlons depuis l'intérieur de la psychologie, dans toute sa diversité : clinique, cognitive, sociale, expérimentale... Pas pour défendre un pré carré professionnel, mais pour secouer une discipline trop souvent trop sûre de ses certitudes alors que les théories s'effondrent à chaque nouvelle qui émerge. Sans même évoquer la mythique efficacité des psychothérapies sans un seul cas guéri pour soutenir l'assertion.

Le ton Psychaventure : sérieux sans se prendre au sérieux

Chez nous, l'humour n'est pas décoratif. C'est une méthode. Il désamorce les dogmes, court-circuite la langue de bois, maintient l'humanité quand tout s'automatise.

Nous écrivons pour ceux qui veulent réfléchir sans s'ennuyer. S'informer sans subir. Douter sans désespérer. Le ton sera parfois moqueur, souvent ironique, toujours lucide. Car penser l'IA, c'est aussi penser notre tendance à nous simplifier nous-mêmes.

Ce qui nous attend

Cette série explorera comment l'IA s'immisce dans nos vies psychiques : mémoire augmentée, créativité assistée, relations médiatisées, identités numériques, travail transformé, éducation repensée...

Chaque thématique fera l'objet d'une vingtaine d'articles. Une enquête au long cours, documentée mais accessible. Pas de jargon intimidant. Pas de chapelles théoriques. Juste de quoi nourrir la réflexion.

À terme, ces séries pourront devenir des guides, des essais, des supports pédagogiques. Peut-être des vidéos, des podcasts, si le temps et l'énergie suivent. Mais chaque article restera autonome, pensé pour provoquer une réflexion immédiate.

L'aventure commence

Bienvenue dans Psychaventure. Cette série "L'IA et Nous" donne le ton : critique, curieux, ancré dans les savoirs psy mais jamais figé. Ouvert au doute et aux idées dérangeantes.

Nous commençons par l'IA parce qu'elle traverse déjà tous les domaines de nos existences. D'autres séries suivront ou seront développées en parallèle (j'apprécie la diversité et l'éclectisme) : santé mentale, relations, culture, travail, valeurs... Tout ce qui fait qu'être humain aujourd'hui est une aventure complexe. Il n'est pas improbable que nous intégrions alors l'IA dans toutes nos futures séries d'articles tant son évolution et son intégration dans nos vies est rapide.

Embarquez avec nous. Les robots ne consulteront pas de sitôt. Nous, si. Autant comprendre ce qui nous arrive avant qu'il ne soit trop tard. Ou trop drôle.